Résoudre la fracture des infrastructures numériques en régions


Un datacenter c’est l’usine d’Internet. Les centres informatiques servent à héberger des serveurs indispensables au bon fonctionnement des communications numériques. En France on dénombre environ 100 datacenters ouverts aux entreprises ou « commerciaux ». Or la carte de leurs emplacements montre que de nombreuses régions accusent un retard d’infrastructure de plus en plus difficile à combler. L’analyse économique explique facilement cette fracture numérique ; une nouvelle approche s’impose pour répondre à cet enjeu de compétitivité des territoires et des entreprises françaises.


Les grands groupes spécialisés dans l’hébergement commercial en datacenter ont ouvert des sites dans les capitales internationales, dont Paris et sa proche banlieue. Aucune implantation en province n’est envisagée aujourd’hui par ces groupes, à notre connaissance. S’il existe des datacenters en régions, ils sont de taille plus modeste. Ces salles ont souvent été ouvertes lors de la folie de la « bulle Internet » par des opérateurs télécoms ou ensuite en fonction de leurs besoins par des acteurs indépendants, des SSII, des hébergeurs. De fait, il n’existe pas ou peu de datacenter commercial d’une capacité de 1 MW de puissance serveur.

Pourquoi tous les datacenters commerciaux sont-ils concentrés en région parisienne ?

Pour réaliser des économies d’échelle lors de la construction d’une datacenter, nous évaluons que la capacité « énergétique » minimale du centre se situe environ à 1MW. Cette unité correspond à la somme des puissances des ordinateurs pouvant être hébergés. Or, le fonctionnement du centre nécessite au-delà de la fourniture d’énergie sous forme d’électricité, de dissiper cette même énergie sous forme de chaleur, le tout sans arrêt du service et parfois dans des conditions extrêmes (pertes de redondance, canicule, pollution, coupures de l’alimentation électrique principale). Ainsi, pour 1MW de puissance informatique, il faut au minimum 2MW de puissance totale pour le site* pour le fonctionnement des équipements industriels des datacenters : transformateurs, tableaux électriques, onduleurs, batteries, groupes électrogènes, systèmes de refroidissement. 1 MW correspond à la modularité de certains de ces équipements. Ainsi, pour le datacenter Marilyn, nous avons choisi des onduleurs de 2*0,5 MW, des groupes électrogènes de 1MW, des transformateurs de 2 MW. En-dessous de 1 MW, le coût au kW du datacenter augmente de manière importante.

Il y a donc un enjeu économique pour amortir un investissement de plusieurs millions d’euros nécessaires à ce type d’infrastructure. On peut aussi prendre en compte les coûts d’exploitation : une équipe de gardiennage 24/7, c’est plus de 10 personnes ; il faut également assurer la maintenance, la sécurité anti-incendie, etc. De plus, pour « vendre 1 MW » d’hébergements, il faut une densité de clients importante, ce qui nous conduit à la région parisienne. Un serveur consomme de l’ordre de 200W. Un datacenter de 1MW, comme le datacenter Marilyn de CELESTE, peut donc héberger 5000 serveurs. Grâce à la virtualisation, chaque serveur physique peut accueillir plusieurs serveurs virtuels. Bilan de l’équation, il faut de nombreux clients pour rentabiliser un datacenter : si un client utilise un serveur, il en faut 5000 …

Datacenters en régions, des besoins mais sur des infrastructures adaptées

En Ile de France, le potentiel de marché est plus concentré. Il est donc plus facile de remplir et de rentabiliser un datacenter. Cependant les entreprises en régions souhaitent disposer d’infrastructure de proximité pour intervenir et contrôler leurs installations. Les prestations globales d’offres de services hébergés ne répondent d’ailleurs pas à tous les besoins professionnels ne serait-ce que sur les technologies et puissances des serveurs mutualisés ou dédiés proposés par les hébergeurs traditionnels. De plus, au delà de ces attentes, les entreprises ont les mêmes besoins de continuité de service, de haute-densité ou d’interconnexion nécessitant des investissements peu compatibles avec la rentabilité espérée des datacenters de moindre taille.

D’autre part, le datacenter fait partie d’un écosystème de technologies numériques : hébergement, fibre, emplois qualifiés, données des entreprises. Il est le centre d’un pôle de développement et il est crucial pour la sécurité des données des acteurs économiques. On peut donc s’inquiéter de cette fracture numérique entre Paris et la province.C’est pourquoi bien conscients de cette problématiques, de nombreux élus souhaitent des datacenters sur leur territoire. Par ailleurs, contrairement à certaines idées reçues, un datacenter génère des emplois : pour sa construction, pour sa maintenance, et surtout pour l’activité de ses clients hébergeurs, SSII, fournisseurs de cloud, etc…

En régions, l’équation entre les besoins et la réalité financière semble difficile. Il nous semble que les paradigmes du développement des infrastructures doivent être revus. La construction de datacenters régionaux nous semble peu probable. La solution serait alors d’envisager une modularité plus importante des équipements et des datacenters en général. Cela impliquerait un nombre plus importants de centres mais aux caractéristiques techniques identiques. Cette tendance pourra peut-être permettre à trouver une équation économique pertinente. C’est dans ce cadre que nous avons travaillé sur un concept de mini-datacenter, StarDC. D’une capacité minimale de 4 baies, soit 168 serveurs, sa conception modulaire permet un accroissement des capacités jusqu’à 16 baies. Ainsi collectivités et entreprises disposent d’une infrastructure professionnelle et adaptée à la taille du marché de proximité.

Nicolas Aubé, président de CELESTE

* Attention à ne pas confondre cette valeur « extrême » avec le rendement (P.U.E) du datacenter, qui tient compte de sa consommation moyenne annuelle.