La surveillance des activités et des comportements des employés – afin de s’assurer qu’ils travaillent réellement – a pris une ampleur inégalée au cours des dernières années. Or une nouvelle étude révèle que tous ces efforts, contre-productifs, contribuent à diminuer la productivité dans l’entreprise.
Réflexion de monsieur Jean-Baptiste Pain, Directeur Général Europe du sud chez Jabra
(PARIS, FRANCE, le 11 juin 2014) – Dernièrement, je me suis attardé sur un site Web comparant des logiciels de surveillance d’activité en ligne. Le site permettait notamment de calculer les économies qu’une entreprise pouvait espérer réaliser en surveillant les activités en ligne de ses employés – à savoir environ 2000 dollars par an et par employé…
Si certaines fonctionnalités me semblent utiles (comme le blocage des sites infestés par un virus), d’autres m’ont laissé franchement dubitatif. Comme, par exemple, le fait que ces logiciels, généralement capables de contrôler le trafic Internet entrant et sortant, permettent de surveiller les télétravailleurs, localiser la position géographique des collaborateurs nomades et identifier ce que les employés utilisent comme logiciels – et pendant combien de temps ils les utilisent. En résumé, vous pouvez littéralement espionner le comportement de vos employés.
La surveillance des employés semble être devenu aujourd’hui un aspect essentiel de la gestion des ressources humaines. Une étude récente indique d’ailleurs que 50% des dirigeants sont opposés au travail à domicile et que 35% d’entre eux tolèrent seulement de type d’activité. Les raisons sont multiples : 49% des dirigeants considèrent que le télétravail « supprime les face-à-face », 22% d’entre eux qu’il « donne trop de liberté » aux travailleurs distants et 22% qu’il les incite à « relâcher la pression ».
Le concept d’open-space s’inscrit d’ailleurs parfaitement dans cette optique de contrôle. De fait, il est plus facile de superviser l’activité d’équipes installées dans un même espace. Cette configuration contribuerait à rendre les employés plus productifs, et les inciterait à mieux respecter les procédures en place. La confiance, c’est bien, le contrôle, c’est mieux : voilà ce que l’on peut encore lire dans de nombreux documents d’étude.
Et pourtant… ça ne marche pas !
Pour ma part, l’idée de contrôler les employés pour s’assurer de leur sérieux me dérange profondément. Je ne supporterais pas que mes supérieurs surveillent chacun de mes faits et gestes. Or je suis heureux de découvrir que de nouvelles études vont dans le sens de ma pensée.
Ainsi, si le fait de contrôler les employés les incite effectivement à travailler plus, ils n’en travaillent pas pour autant mieux. En réalité, ils « surcompensent » en consacrant un temps excessif aux apparences afin de donner une image positive de leur travail. Ils multiplient les envois d’e-mails, en particulier à leurs supérieurs, afin de bien montrer leur ardeur à la tâche. Ils se connectent au réseau de leur entreprise même lorsqu’ils ne l’utilisent pas – simplement pour laisser une trace de leur présence. Au final, ils perdent du temps à effectuer des tâches qui leur permettent de justifier leur activité mais qui, en réalité, n’apportent aucune valeur ajoutée à l’entreprise.
Cette idée de « surcompensation » imprègne notre manière de travailler. Même le grand magazine américain TIME, dans une série d’articles consacrés aux stratégies de carrière, offre le conseil suivant aux travailleurs à distance : « Faites de la rédaction des e-mails à vos supérieurs une priorité absolue. Répondez-leur le plus rapidement possible afin de leur montrer que vous ne vous reposez pas, ne jouez pas à des jeux vidéos – mais que vous travaillez ».
Le paradoxe de la transparence
Ce phénomène, connu sous le nom de « paradoxe de la transparence », s’amplifie à mesure que les actions visant à contrôler l’activité des employés s’accentuent, comme le révèle Ethan Bernstein, professeur à l’Université d’Harvard. Bernstein a étudié le paradoxe de la transparence pendant des années en menant des expériences de terrain dans une usine de téléphones mobiles en Chine. Sa conclusion : plus les employés sont contrôlés, plus ils tentent de dissimuler ce qu’ils font réellement à travers des comportements (qu’il appelle notamment « codes secrets ») coûteux pour l’entreprise. L’aménagement d’espaces privés au sein de l’entreprise contribue en revanche à accroître les performances des employés. Seul pendant un moment, l’être humain commence à penser, à réfléchir. Et c’est ainsi que peuvent éclore certaines idées qui permettront d’améliorer la productivité, l’innovation ou même la convivialité au sein de l’entreprise. Rien de tel dans les environnements où un contrôle excessif s’exerce sur les employés. Le respect d’une certaine intimité contribue à créer de la valeur.
D’autres études parviennent à la même conclusion. Travailler de chez soi : le concept peut rebuter les responsables. Et pourtant, l’expérience montre que, dans leur majorité, les employés sont plus efficaces lorsqu’ils ne sont pas continuellement dérangés par leurs collègues au travail. À condition, bien sûr, de ne pas avoir à surcompenser en bombardant ces mêmes collègues d’e-mails afin de « prouver » leur sérieux et leur fiabilité.
Fait intéressant à souligner, des recherches effectuées dans les années 1950, déjà, mettaient en avant le fait que la surveillance des employés n’avait pas forcément un impact positif sur la création de valeur. Ce qui n’a pas empêché les décisionnaires des entreprises de concentrer leurs efforts sur l’élaboration et la mise en place de telles mesures de surveillance au travail.
Voyons les choses en face et concentrons-nous sur la motivation plutôt que sur le contrôle des employés. Débarrassons-nous des logiciels de surveillance et investissons dans les réunions en face-à-face afin de se donner les moyens de créer une vision forte de son entreprise auprès de ses employés. Enfin, lâchons la bride à ces mêmes employés afin de leur donner la possibilité de travailler – et de réfléchir – efficacement et en toute autonomie !