« Maman, y a des kangourous devant la porte ! » Depuis quinze jours que nous voyageons en camping-car sur les routes de l’Australie de l’Ouest, la côte oubliée, Anastasia s’émerveille toujours de ces rencontres avec cet étrange animal, farouche et en même temps curieux, si emblématique du pays.
Ce soir, tandis que nous déplions table et chaises pour dîner au bord de la mer, ils sont deux, à fourrure grise et de taille moyenne, à faire des petits bonds autour de notre campement. La nuit tombe sur Cape Range, un parc national au nord du pays-continent, réputé pour les eaux turquoise du récif corallien de Ningaloo
Entraînés comme nous le sommes maintenant, tout est lavé et rangé en un clin d’oeil dans les multiples petits placards de notre maison roulante. La douche en cabine étroite, c’est du sport ! est expédiée. Les lits sont préparés, du moins celui des parents, car Anastasia dispose de sa chambre permanente, « au premier étage » , au-dessus des deux sièges avant.
Elle adore grimper par l’échelle, tirer ses rideaux de séparation et raconter sa journée à ses peluches. Il y a de quoi, entre les noms d’animaux inconnus à apprendre, les dugongs, les quokkas, les wombats, et les fous rires provoqués par le souvenir des maladresses du début, la douche débordante qu’il faut écoper, les oeufs pas cuits parce que la réserve de gaz de la cuisine est épuisée, ou le temps passé à désensabler ce monstre de 3 tonnes qui ne se manoeuvre pas comme une berline parisienne.
Nous sommes désormais à peu près rodés, mais il reste à supporter la chaleur. Sous la splendide voûte céleste de l’hémisphère Sud, pas un souffle d’air ne pénètre à travers les fenêtres protégées par des moustiquaires. Le camping sauvage, entre mer et désert, ça se mérite !
Le lendemain, nous faisons halte à l’incontournable et bien nommée Turquoise Bay : une plage de sable blanc bordée par des eaux incroyablement cristallines. La seule contrariété, c’est ce fichu panneau qui prévient aimablement le touriste qu’il peut, le cas échéant, croiser toute une bande de criminels, le poisson-pierre, le serpent de mer, le requin à pointe blanche, et la blue ring Octopus, cette minuscule et perfide pieuvre à anneaux bleus avec laquelle James Bond n’a pas cherché à frayer dans Octopussy. L’oeil aux aguets, on appréciera cependant avec délice la baignade.
La troisième semaine, nous rallions le Yardie Caravan Park, un camping hors du temps, isolé, qui tient un peu du Bagdad Café. L’endroit, fréquenté seulement par des perroquets criards gris et roses la petite s’en méfie car elle s’est déjà fait mordre par l’un de ces volatiles , par des cacatoès à crête jaune, des varans curieux et les inévitables kangourous, est géré par une famille très sympathique. Nous fêtons là, au bord de la piscine, en compagnie de la jolie petite Page et de ses trois frères et soeurs, les 6 ans d’Anastasia qui souffle, ravie, ses bougies sur un pain hamburger truffé de bonbons.
La nuit, vers 23 heures, nous menons le camping-car en bordure de mer, sur une plage isolée. Munis d’une lampe torche, nous scrutons le sable. Gagné ! Une énorme tortue verte, de 1,50 mètre de diamètre, est en train de creuser son nid. Elle est probablement née ici, il y a soixante-dix ans ou plus. Emue, Anastasia ne veut plus quitter celle qu’elle a baptisée « Mémère » .
Nous lui promettons d’autres aventures : à Coral Bay, nous plongeons avec masque et tuba au large pour suivre une raie manta de 5 mètres…
Quelques jours plus tard et cinq cents kilomètres plus loin, c’est à gauche, en quittant Karratha. La route privée, Hamersley Iron Road, mène tout droit, 300 kilomètres plus loin, à la ville minière de Tom Price. Sable et gravier, uniquement. Comme chaque fois que nous roulons, Anastasia est assise au fond du camping-car, attachée avec sa ceinture de sécurité sur la banquette face à la table à manger.
Mais aujourd’hui, elle proteste énergiquement car elle a bien du mal à colorier son cahier « sans déborder » . En plus, les feutres sont capricieux, ils roulent et tombent à terre. La piste longe la voie du chemin de fer qui sert à transporter le minerai de fer. Il faut un appareil photo panoramique pour prendre ces trains en entier… longs de 2 kilomètres : ils traînent pas moins de 200 wagons !
Nous allons nous rafraîchir dans un endroit à l’écart du chemin appelé Python Pool. C’est une piscine naturelle cernée par des parois rocheuses. L’eau n’est ni fraîche ni claire, mais curieusement rouge. Qu’importe. Le soleil est trop fort.
Mais voilà qu’au moment de repartir le camping-car s’entête à ne plus démarrer. Le plein a été fait, les batteries sont bonnes, l’huile et l’eau sont à niveau, bref, tout semble fonctionner mais rien n’y fait. Le moteur tressaute, c’est tout. A l’ombre, la température atteint 47 oC et nous ignorons combien de temps il nous faudra attendre des secours.
Petit moment d’angoisse, vite surmonté. Après tout, le camping-car offre le gîte et le couvert, et nos réserves d’eau, suivant en cela les conseils des Australiens, sont bonnes. Wait and see . L’important, c’est de ne pas s’éloigner du véhicule.
Le suspense prend fin deux heures plus tard avec l’arrivée de deux couples en 4 × 4 : des employés de la HI Company, la compagnie minière, qui offrent gentiment de nous ramener dans la première ville située à plus de 100 kilomètres de là.
Une pause de quatre jours puis, entêtés, nous récidivons en empruntant le même chemin, mais cette fois, nous atteignons sans encombre Tom Price, après cinq heures de route cahotante. La cité, fondée en 1966, est une oasis au milieu d’un immense chantier à ciel ouvert. Certains des engins employés pour l’extraction minière dépassent cinq mètres de haut. Des monstres qu’Anastasia découvre bouche bée. A côté, évidemment, notre camping-car fait figure de lilliputien.
Tom Price, c’est aussi le point de départ pour visiter le parc de Karijini, connu pour ses sublimes et vertigineuses gorges rouges. Le site passe pour être l’un des plus beaux paysages d’Australie. En descendant des chemins de randonnée abrupts, on y découvre de nombreuses piscines naturelles, toutes plus belles les unes que les autres. Celle de Farm Pool, accessible après vingt minutes de marche, possède deux petites chutes sous lesquelles il fait bon rester. L’endroit nous avait été recommandé par l’excellent Centre des visiteurs situé à quelques kilomètres et tenu par une tribu aborigène.
Voilà cinq semaines que nous avons quitté la France. Il est temps de rejoindre notre prochaine étape, Broome, connue pour son immense plage nommée Cable Beach, son industrie perlière et ses cyclones dévastateurs (là-bas, la loi impose aux caravanes d’être fixées au sol par des liens solides). C’est un long chemin.
En Australie, il est recommandé de prendre son temps pour voyager car seuls les grands axes sont goudronnés. La plupart du temps, ils sont interminables et jonchés de cadavres de kangourous. Les stations-service sont espacées de plusieurs centaines de kilomètres. Dans ces conditions, nul n’oublie de faire le plein d’essence.
Le trafic est si réduit (trois véhicules croisés en une heure, six au maximum) que doubler un road-train , ces camions à quatre ou cinq remorques, n’est vraiment pas un problème. Mieux : c’est une distraction ! Le reste du temps, le réseau routier se compose de pistes en terre, d’une terre si rouge qu’elle semble à vif. Elle s’infiltre partout. Anastasia s’en amuse : elle en saupoudre toute une page dans son carnet de voyage. Puis s’endort sur la banquette.
Source : http://www.lemonde.fr/voyages/article/2005/07/20/l-ouest-australien-en-camping-car_673967_3546.html